Année après année, Amazone se rapproche toujours plus de son idéal féministe et féminin : une maison à soi où le pouvoir faire est la question cruciale.
2020 marque les 25 ème anniversaire de l’asbl Amazone (Bruxelles, 1995) née sur le terreau de la Maison des femmes « haut lieu des batailles et des rencontres féminines et féministes des années 1970-1980 » – et de la Quatrième Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes (Pékin, gender mainstreaming, 1995). La fondatrice Miet Smet, l’une des puissantes figures politiques de la seconde vague du féminisme en Belgique, a réussi ce dont elle pouvait rêver : faire de la maison Amazone au 10 rue du Méridien une maison à soi en soutenant et hébergeant, en deçà des querelles partisanes, plus d’une vingtaine d’associations de femmes, un centre de congrès, un centre de documentation et un restaurant.
Il faut insister avec raison sur ce qui anime fondamentalement, avec forces et ambition, les mouvements féministes et précisément Amazone : vivre, se réaliser, déployer sa liberté, c’est faire. Un pouvoir faire perméable à son environnement politique, économique, social et culturel, national et international, qui évolue au fil du temps. « Nous avons accompli des avancées importantes au cours des dernières décennies, notamment en matière de réduction de l’écart salarial, des quotas de femmes dans les postes de direction. Si nous sommes allées aussi loin, c’est parce que nous avons fait le chemin ensemble. Amazone est un modèle pour d’autres pays. Elle n’a pas volé son nom : dans la mythologie, les Amazones étaient respectées parce qu’elles constituaient une communauté soudée », souligne Nathalie Muylle, l’ex-Ministre fédérale de l’Egalité des genres.
Aux préoccupations premières s’en sont ajoutées d’autres : « Depuis sa création en 1995, Amazone a bien changé. Elle soutient les luttes LGBTQ+. Elle lutte activement contre le féminicide, le sexisme et le harcèlement en rue (ou la question de la place des femmes dans l’espace public) ou le cyber-harcèlement. Grâce au Fonds des Amies d’Amazone créé par Miet Smet et Isabelle Durant, elle soutient les femmes artistes, les femmes dans le domaine de la culture », précise Valérie Tanghe, la Présidente de l’Organe d’administration de Amazone. Sans oublier « la visibilisation des femmes dans le domaine des technologies », complète Isabelle Durant, Secrétaire générale adjointe de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement. Parce que les femmes et l’innovation, c’est l’histoire de l’innovation, tout court.
C’est à l’aune de l’agir et de la troisième vague du féminisme, qu’il faut regarder la remise du Prix Génération Amazone le 26 septembre 2020. Le prix récompense 5 jeunes femmes (choisies parmi 29), qui, à maints égards, rouvrent des possibles politiques : Fatima-Zohra, Ayke Gubbels, Lola Mansour, Alexe Poukine et Elien Spillebeen. Dans le sillage des idées de Judith Butler, Kimberlé Crenshaw, Donna Haraway ou Paul B. Preciado, au prisme du mouvement #meetoo (2017) et, de la recrudescence des violences et des inégalités suscitées par la pandémie de la Covid-19 et le confinement (2020 à auj.), ces femmes dénoncent le long continuum des violences faites aux femmes. Elles revendiquent le nous de la sororité comme une éthique de la responsabilité fondée sur des actes. Elles sont 5 femmes puissantes.
Puissante d’en découdre et écrire sur « le sexisme et l’invibilisation des femmes dans les sports de haut niveau », dénonce Lola Mansour, judokate, activiste et autrice du livre Ceinture blanche (prix Jeune Public Brabant Wallon de la Fondation Laure Nobels 2018).
Puissante de faire des histoires, un art de la résilience, « à l’avenir, les femmes doivent être délivrées de toutes leurs peurs et elles ne doivent plus avoir besoin d’être des hommes comme les autres pour être, à égalité, des femmes », aspire Alexe Poukine, réalisatrice du film Sans frapper sur le viol d’Ada (2019).
Puissante de faire converger les luttes, « il est important de donner aux femmes la possibilité de se réaliser et d’entreprendre ce qu’elles veulent. La couleur de peau, l’origine sociale, la culture, le genre, etc., sont des facteurs de discrimination. Penser une convergence des luttes est une nécessité, aujourd’hui. Je me rends compte de la chance que j’ai : je suis libre d’accomplir mon parcours comme je l’entends. J’aimerais que toutes les femmes aient cette chance », ajoute Ayke Gubbels (thérapeute et fondatrice de Punt vzw pour lutter contre les violences sexuelles suite au féminicide de Julie Van Espen).
Puissante aussi, de la colère qu’elle se réapproprie avec allégresse et collectivement, dans un « safe space » à la faveur d’un féminisme « intersectionnel, antiraciste, décolonial, traitant des questions de société, de genre, de la sexualité, du pluralisme », explique Fatima – Zohra, activiste et fondatrice du collectif Imazi•Reine.
Puissante, enfin, de susciter l’empowerment chez les femmes qui vivent dans les zones de conflits, à l’Est du Congo, « il faut cesser de montrer ces femmes sous le prisme victimaire. Elles sont plus que des victimes. Elles tirent leurs forces de la connaissance des violences qu’elles ont endurées. Souvent à la tête d’organisations, elles ont un vrai pouvoir d’action en matière de paix. Elles sont la solution. C’est pourquoi, nous avons créé l’organisation Mama Kivu et plus récemment le projet multimédia Beni Files. Il est crucial de donner des visages à ces femmes et de faire entendre leurs voix de manière équilibrée en travaillant toutes ensemble », insiste Elien Spillebeen, journaliste et coréalisatrice du film Backup Butembo (2014).
Pour l’heure, Amazone nous rappelle que nous ne tenons pas debout toutes seules. Nous tenons debout parce que nous nous soutenons. Nous sommes soutenues et soutenantes. Là se logent la puissance expressive, la revendication, l’affirmation, et l’engagement d’Amazone. Cela s’appelle les communs féministes.
Sylvia Botella