Quand le corps devient un obstacle : grossophobie, discriminations et injonctions esthétiques
Dans nos sociétés, la norme corporelle exerce une pression constante sur les personnes qui s’en éloignent. Parmi les plus durement touché·es : les personnes grosses, en particulier lorsqu’elles appartiennent à des groupes déjà marginalisés. Leurs corps sont constamment scrutés, jugés, pathologisés. C’est ce qu’on appelle la grossophobie : une oppression systémique trop souvent réduite à un simple inconfort personnel.
Une violence quotidienne, une oppression systémique
Tout le monde n’a pas le privilège de passer inaperçu·e. Certains corps dérangent, détonnent, sont sans cesse soumis à l’examen public. Les corps gros, en particulier ceux des personnes minorisées ; femmes, personnes queer, racisé·es, en situation de handicap ou précaires. Iels sont la cible d’une stigmatisation profondément ancrée dans les mentalités.
Cette violence prend des formes multiples : micro-agressions au quotidien, accès limité aux soins, discriminations à l’embauche, et même inaccès au simple droit d’occuper l’espace. La grossophobie ne peut être comprise isolément : elle s’entrelace avec d’autres logiques d’oppression ; sexistes, racistes, validistes, classistes, hétéronormées. Elle vise à invisibiliser, soumettre ou faire taire les corps considérés comme « trop » : trop gros, trop noir·es, trop queer, trop libres.
Il n’est pas rare d’entendre des personnes entrant dans la norme corporelle, qui n’ont pas mis un pied dans une salle de sport depuis l’école, interroger les capacités sportives des personnes grosses. Tu peux marcher 20 km ? Monter des escaliers ? Faire du yoga ? Mais à quand remonte la dernière fois qu’on a demandé à quelqu’un si iel savait courir un marathon avant de le·la respecter ? Pourquoi les personnes grosses devraient-elles prouver quoi que ce soit ?
Les personnes grosses ne doivent rien à personne. Ni performance, ni transformation, ni sourire pour rassurer les malaises des autres. Iels n’ont pas à justifier leur état de santé, surtout dans une société qui ne demande jamais de telles preuves aux autres.
Le poids des normes dans le monde professionnel
Le monde du travail est l’un des espaces où les discriminations liées à l’apparence s’expriment de manière particulièrement insidieuse. Les personnes perçues comme grosses et plus largement toutes celles et ceux qui ne correspondent pas aux standards esthétiques dominants, sont souvent écarté·es dès les premières étapes d’un processus de recrutement.
En France, une étude du Défenseur des droits et de l’OIT (2021) révèle que les femmes obèses ont huit fois plus de risques de subir une discrimination à l’embauche. Les personnes trans, non-binaires, ou simplement habillées en dehors des normes vestimentaires attendues sont également victimes d’un rejet systémique.
Ces discriminations croisées relèvent d’un phénomène plus global : le lookisme. Encore méconnu, ce terme désigne l’ensemble des discriminations fondées sur l’apparence physique, englobant le sexisme, le racisme, le validisme, l’âgisme, la grossophobie ou encore la stigmatisation vestimentaire. Le lookisme nous rappelle que le corps n’est jamais neutre : il est évalué, hiérarchisé, politiquement contrôlé.
« La Gueule de l’emploi » : une riposte étudiante et féministe
Face à ces constats, six étudiant·es en Master 1 Communication culturelle et sociale à l’IHECS (Bruxelles) ont lancé un projet engagé contre le lookisme : La Gueule de l’emploi, un guide dédié aux discriminations à l’embauche liées à l’apparence, en particulier celles subies par les personnes FINTA (Femmes, Intersexes, Non-binaires, Trans, Agenres).
Conçu dans une démarche féministe et intersectionnelle, ce guide vise à sensibiliser, informer et fournir des outils concrets pour affronter ces injustices. Il donne aussi la parole à des personnes concernées, trop souvent réduites au silence.
Ce projet local s’inscrit dans un mouvement global : celui de la réappropriation du discours par les personnes concernées. Il participe à la politisation du corps, à la remise en question des normes professionnelles, et à la revendication d’une place pleine et entière dans le monde du travail.
Invisibilisation médiatique et culture visuelle
La grossophobie ne s’arrête pas aux portes des entreprises : elle s’infiltre dans les médias, la mode, les campagnes de santé publique et les réseaux sociaux. Les corps gros, racisé·es, trans, âgé·es ou en situation de handicap sont très rarement représenté·es et quand iels le sont, c’est sous l’angle du cliché ou de la maladie.
Cette invisibilisation n’est pas anodine. Elle renforce l’idée que seuls certains corps sont dignes d’amour, de succès, de visibilité. Les standards esthétiques diffusés deviennent des injonctions intérieures, intériorisées parfois au prix d’une immense souffrance. Les personnes grosses ne sont pas rares : elles sont simplement rendues invisibles.
Résister et se réapproprier les espaces
En Belgique, le collectif FatFriendly cartographie les lieux culturels et publics accueillants pour les personnes grosses. En France, le mouvement Gras Politique cofondé par Daria Marx, milite pour une société inclusive, affranchie des normes corporelles oppressantes.
À travers festivals, mobilisations ou guides pratiques, ces initiatives redessinent les contours d’un féminisme qui ne laisse personne de côté, surtout pas les personnes dont les corps sont marginalisés.
Ces luttes, portées par les personnes directement concernées, sont essentielles. Elles offrent des espaces de résistance, de solidarité, de survie et surtout, d’affirmation politique.
Pour un changement structurel et radical
Combattre la grossophobie ne revient pas à demander plus de bienveillance ou de tolérance : cela signifie exiger des droits. Exiger la reconnaissance pleine et entière des personnes grosses comme citoyen·nes légitimes, respectables, compétent·es.
C’est refuser que le corps devienne un critère de sélection sociale. C’est s’attaquer aux normes esthétiques imposées, décoloniser le regard, politiser les expériences corporelles marginalisées. Ce n’est pas aux personnes grosses de se transformer pour correspondre aux attentes sociales. C’est à la société de changer pour inclure la diversité des corps.
Aucun corps n’a à se justifier. Tous sont légitimes. Et aucun n’a à prouver qu’iel mérite d’exister.
Sitographie
Les Ourses à Plumes – Ressources sur la grossophobie.
La grossophobie, c’est quoi ? – CFEP
https://www.beauteronde.fr/gras-politique/
RSE. Grossophobie : une femme obèse a huit fois moins de chance d’être embauchée
Faustine Stricanne
Stagiaire Amazone

